6) Camus, Montaigne et la mort

(La direction que j’ai suivie jusqu’ici, considère que le Devoir tel qu’il est expliqué au 4ème degré, c’est la quête de la Parole perdue, et que cette Parole perdue est le Logos. Le Logos au sens le plus large, celui qui peut être aussi assimilé au Christ, au Tao ou au Dharma. Une manière d’énoncer une conception du monde qui donne un sens à ma vie. «Le sens de la Vie», vieille et terrible question ! Je ne prétendrai pas y répondre ici mais plutôt, dans un premier temps, la remettre en perspective.)


Comme nous l’avons vu, pour un chrétien, le Logos sera probablement la Parole du Christ et il le cherchera d’abord dans les évangiles. Un juif le cherchera peut-être plutôt dans la Torah. Certains bouddhistes se tourneront vers le Tripitaka quand d’autres éviteront de le chercher en priorité dans les écrits. Mais moi ?


Puisque la question à laquelle le Logos est sensé apporter une réponse, sinon LA réponse, est celle du sens de la vie, il faut commencer par là.


Pour Thomas d’Aquin, le but ultime de la vie, c’est le bonheur et ce bonheur:

«ne peut exister que dans la vision de l’essence divine même».


Pour Ignace de Loyola:

« L’homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme. Et les autres choses qui sont sur la terre sont créées à cause de l’homme et pour l’aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant ».


William Shakespeare fait dire à Macbeth:

« La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus ; c’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien… »


« Qui ne s’interroge pas est une bête, car le souci constitutif de toute vie humaine est celui de son sens. »

dit Schopenhauer


« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l’esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite. Ce sont des jeux ; il faut d’abord répondre. » […] Qui de la terre ou du soleil tourne autour de l’autre, cela est profondément indifférent. Pour tout dire, c’est une question futile. En revanche, je vois que beaucoup de gens meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. J’en vois d’autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre (ce qu’on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions.

renchérit Camus pour lequel l’Univers est non pas chaotique mais absurde.


Beaucoup d’auteurs contemporains ont fini par renoncer à chercher en dehors d’eux-mêmes le sens de leur vie. Camus conseille la révolte contre l’absurde comme seule alternative, selon lui, au suicide. Les existentialistes estiment que l’existence des hommes, absurde, précède leur essence et que chacun est responsable du sens qu’il aura donné à sa vie.


Et cette question redoutable effraye tant la plupart d’entre nous qu’on entend souvent dire qu’elle serait vide de sens. Certains, pour se moquer de la bêtise humaine iront même jusqu’à affirmer que la réponse, totalement hors de portée de notre médiocre intelligence humaine, serait le nombre 421.


Il y a cependant deux choses au moins sur lesquelles tous ou presque semblent s’accorder: Nous sommes tous mortels et, jusqu’à notre souffle dernier, à la recherche du bonheur.
Et c’est ce constat qui m’incite à me retourner vers Pindare:


«  Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible.»

et vers Épicure:


« Carpe Diem »


Mais imaginons qu’un jour je la trouve, cette Parole perdue capable de donner un sens à ma vie, de la sortir du chaos et de l’absurdité ambiants, comment saurais-je que j’ai réussi ma quête?


Pour ce qui me concerne, je crois trouver la réponse chez Montaigne:


« Je veux qu’on agisse, et qu’on allonge les offices de la vie tant qu’on peut, et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait. »


Cette phrase, à mes yeux, ne donne pas la réponse à la question du sens de la vie mais elle peut servir de pierre de touche. Si la mort me trouve plantant mes choux mais «insoucieux d’elle et encore plus de mon jardin inachevé»2 , ce sera pour moi la preuve que je l’avais bien retrouvée, cette fichue Parole perdue !


Notes et références:

  1. Selon une nouvelle de science-fiction célèbre. ↩︎
  2. Selon la transcription en français moderne d’André Lanly publiée chez Gallimard ↩︎

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