Ce nouveau projet sera fondé sur le 4ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté tel qu’il a été rédigé par Oswald Wirth et Albert Lantoine dans les années 19201.
Il s’agissait pour eux de remodeler en profondeur un degré maçonnique qui, auparavant, était assez sommaire et qui de toute manière n’était plus pratiqué depuis longtemps, pour autant qu’il l’ait jamais été dans le cadre du REAA.
Suite à leur réforme, le 4ème degré du REAA allait devenir en France le point de départ d’un cheminement se prolongeant dans trois sortes d’ateliers différents:
- Les Loges de Perfection, dédiées à l’étude de la philosophie de la connaissance.
- Les Chapitres de Rose-Croix, dédiés à l’étude de la philosophie de l’amour.
- Les Aréopages de Chevaliers Kadosh, dédiés à la philosophie de l’action.
Ce cheminement initiatique se terminait ainsi au 30ème degré (« Nec plus Ultra« ), les 3 derniers grades étant considérés à l’époque comme des grades « administratifs », ce qui ne signifiait pas qu’il n’avaient pas d’importance pour autant, bien évidemment.
La conception des hauts grades écossais de Wirth et Lantoine faisait suite à une autre conception, présentée de manière métaphorique par le Grand Commandeur Jean-Marie Raymond (SGC de 1899 à 1914) dans son texte « Philosophie cosmique du REAA » de 19102. L’évolution avait été réalisée sous l’égide de son fils, René Raymond, qui lui succédera à la tête du SCdF de 1918 à 1958 (avec une interruption de 1924 à 1926).
Leur travail s’appuyait ainsi sur la volonté de réorganiser les « hauts grades » du REAA, au lendemain de la première guerre mondiale, afin de les réorienter vers une recherche de spiritualité ouverte, universelle, et fondée sur les principes de tolérance énoncés par le Convent de Lausanne 3. Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur tout ceci.
Comme «Nulle chose n’est compréhensible que par son histoire» (P. Teilhard de Chardin) ainsi que par son contexte, je voudrais ajouter quelques repères temporels qui me semblent avoir leur importance dans l’histoire de la spiritualité maçonnique en France:
- Chute du Second Empire: 1870
- Commune de Paris: 1871
- Convent de Lausanne: 1875
- Affaire des fiches: 1904.
- Séparation des Églises et de l’État en France: 1905
- «Crise moderniste» de l’Église catholique, affaire Loisy: 1904-1907
- Congrès de Tours de la SFIO: 1920
- Wirth et Lantoine sont chargés de réorganiser les Loges de Perfection du SCdF et leurs rituels: 1921
- René Guénon publie « La crise du monde moderne »: 1927
Nous aurons l’occasion de revenir sur tout ceci, mais j’en ai déjà assez dit pour pouvoir expliciter mon titre:
Il me semble en effet que le 4ème degré de Wirth et Lantoine a été conçu comme une étape préparatoire, une propédeutique, indispensable avant de s’aventurer plus loin dans les « hautes régions de la Connaissance spirituelle ».
Mais il me semble aussi que l’esprit qui a présidé aux évolutions de cette époque est en train d’évoluer, parfois en catimini, parfois aussi de manière beaucoup plus explicite . Depuis le début des années 2000, il s’agirait de corriger les « dérives » d’un passé caricaturé comme « matérialiste » voire « scientiste » et de réaliser un « retour aux sources » supposées d’une « Tradition primordiale » telle que définie dans les années 1920 par René Guénon4.
« Respectez toutes les opinions, mais ne les acceptez pour justes que si elles vous apparaissent comme telles après les avoir examinées. » nous recommandent Wirth et Lantoine. J’ai fait mien leur précepte. Et après voir longuement examiné les opinions «traditionnistes», je suis de ceux qui les voient comme une illusion.
Alors je sais bien que je fais désormais partie des minoritaires sur ce sujet. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans. Mais c’est sans grande importance. « Le balancier finira bien un jour ou l’autre par revenir vers plus d’équilibre » m’a dit un vieux Frère il y a plus de 10 ans maintenant. D’ici là, je continuerai à exprimer mon point de vue (comment faire autrement puisque j’en ai fait le serment à un certain degré?), mais il me semblait indispensable de prévenir à l’avance mes lecteurs:
Mon propos s’écartera parfois des points de vues majoritaires au risque de sembler impertinent. Il ne se sera que le témoignage d’une recherche maçonnique personnelle. Une « quête de la Parole perdue » parmi des centaines d’autres. La mienne fut respectueuse de toutes les autres, y compris judéo-chrétiennes, tout en tentant de se libérer de leurs doxas.
À la proposition de Wirth et Lantoine :
«La route du Devoir mène sûrement à la Vérité»
elle associe celle de Krishnamurti :
«La Vérité est un pays sans chemin auquel ne mène aucune route».
Ces deux énoncés, je les crois profondément vrais tous les deux. Il suffit d’éviter l’erreur qui consisterait à prendre les métaphores pour des affirmations dogmatiques et de prendre le temps d’une interprétation soigneuse pour s’en convaincre. Mais nous aurons l’occasion d’y revenir.
Notes et références:
- Voir cet article sur le site de Jean-Laurent Turbet. ↩︎
- Vous en trouverez la transcription intégrale ici. ↩︎
- Voir cette série de 3 articles d’Alain Bernheim sur le sujet: 1, 2, 3 Sur le même sujet comme sur le contexte plus général, on peut aussi consulter cet article du site du Suprême Conseil pour la France. ↩︎
- On me permettra ici de remarquer que le concept de Tradition primordiale, tel que défini par René Guénon, s’il est très proche de celui plus ancien de « Sophia perennis » est très éloigné de la tolérance préconisée par la Déclaration de principes du Convent de Lausanne qui affirmait «n’imposer aucune limite à la recherche de la Vérité» et être ouverte aux «hommes de toute croyances». Entre autres dans sa condamnation des protestantismes. Voir par exemple les citations de R. Guénon dans cet article (Université du Québec). ↩︎
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