(Notes de lecture)
4ème de couverture
« Pourquoi donc sommes nous si accrochés à notre maigre «je» ? Pourquoi refusons-nous d’accepter les leçons les plus radicales des neurosciences ou de la psychologie cognitive à propos de notre «identité» ou de ce que nous aimons à considérer comme notre «libre arbitre» ? Quel mal y aurait-il à accepter que nous soyons le résultat de déterminations qui nous dépassent et que nos choix ne soient que des colifichets ayant pour seule fonction de nous rassurer ?
Dans «Lost Ego », François de Smet répond à toutes ces questions de la meilleure manière qui soit: en mettant le doigt sur les peurs qui continuent à nous voir nous accrocher aux reliques de notre «moi» en miettes et que nous refusons de regarder en face. Non, nous n’existons pas, mais c’est précisément parce que nous n’existons pas que nous pouvons trouver le moyen de vivre. Seuls, et surtout ensemble.»
Extraits
« L’ouvrage que vous tenez entre vos mains propose un point de départ a priori audacieux: vous n’existez pas. Pas plus que l’auteur de ces lignes. […] Plus exactement, nous n’existons pas en tant que personnalités fixes, déterminées, dotées d’un corps et d’un esprit qui en détiendrait les commandes. Ce «je» qui n’existe pas est celui de la fiction moderne du libre arbitre et de la personnalité juridique; celui du sujet libre et responsable; celui de l’individu maître de ses pensées et de ses actes, se définissant par sa volonté et par les actes qu’il pose en n’obéissant qu’à lui-même. On ne devrait pas dire «je pense», assène Nietzsche dans »Par-delà le bien et le mal », mais «ça pense», car je ne choisis guère les pensées qui me viennent. » P.9
« L’époque est pourtant aussi celle de la recherche effrénée d’identité, du «je» revendiqué comme libre. Soit classiquement par fierté vis-à-vis d’une origine, d’une orientation, d’une religion, d’une nationalité […], soit désespérément par affirmation d’une liberté se voulant sans entraves, celle du « self-made-man » rejetant toute affiliation, élevé au grain de l’illusion qu’il choisit chacune de ses inscriptions -jusqu’à sa nationalité, son genre, son nom- et ne devant rien à personne […]. » p.11
« Ce petit livre formule l’hypothèse que l’homme est un être de récits autoconstruits et ajustés continuellement les uns aux autres, et que tout essentialisme de la conscience est une construction simulée par la physiologie humaine à des fins de conservation de l’espèce. […] Le cerveau humain a été construit par l’évolution comme un raconteur d’histoires, un affabulateur permanent. » p.16
« Loin d’accepter l’irréductible contingence du matérialisme auquel les découvertes scientifiques sur nous-mêmes nous amènent, nous nous efforçons de sauver l’idéalisme et l’essentialisme par un investissement disproportionné dans le dualisme, qui nourrit à la fois notre rapport au mal, à la fiction et à la liberté. Le dualisme permet d’échapper au matérialisme en mobilisant des formes d’invisibles pouvant servir de refuge à la croyance, en particulier lorsque celle-ci propose du réel une représentation simple, valorisante et remplie de promesses. » p.17
« Aujourd’hui, se trouve […] remis en question le postulat de base qui entendait comprendre le phénomène de l’autorité comme la soumission d’une volonté individuelle à une autre, mettant face à face un individu avec sa liberté, son libre arbitre d’une part et une société avec ses règles, ses institutions et ses sanctions d’autre part. Pareil point de départ, en effet, isole erronément l’être humain comme entité qui entrerait en société postérieurement à sa constitution comme individu, alors que nous savons que l’homme est un animal social. » p.28
« L’autonomie humaine est une création, et le libre arbitre l’est aussi. Ego, «moi, je» est le nom de l’histoire que nous nous racontons pour refouler le caractère artificiel du libre arbitre. » p.30
« Chacun, en communauté, a déjà ressenti l’émergence d’une sensation anxiogène lorsqu’il se trouve dans un environnement professionnel dépourvu de leadership. Dans ce genre de situations, une tension se fait jour [et ne] trouve sa résolution que lorsque quelqu’un sort du bois et assume l’autorité. Le nouveau leader trouvera dans la valorisation de son rôle de quoi compenser l’énergie psychique nécessaire à obtenir et maintenir l’autorité, tandis que les subordonnés céderont bien volontiers la charge en échange du confort psychique d’un retour à une situation ordonnée. » p.35
« Le libre arbitre est pourtant une notion relativement neuve, synonyme de l’émergence de la modernité. Il faut de l’homme l’addition fictive d’un corps et d’un esprit, auxquels on a longtemps prêté des caractéristiques différentes et séparées. La dualité corps-esprit (attribuée à Descartes d’une manière souvent réductrice) est profondément inscrite dans notre culture. Le système de droit, ainsi, est axé sur le sujet de droit comme »a priori » responsable de ses actes […] Juridiquement, nous ne pouvons pas nous passer du libre arbitre. […] Le droit pénal, ainsi, requiert un élément intentionnel pour que l’infraction soit constatée. » p.47
« Les avancées scientifiques invitent à revisiter la question de la conscience pour ne plus en faire un »Deus ex machina » mais une partie de notre corps qui nous raconte »a posteriori » une histoire des événements. » p.49
« Schopenhauer conçoit la philosophie comme science devant délivrer des illusions dans lesquelles tend à se plonger l’homme. Le libre arbitre est l’une de ces illusions. La liberté elle-même en est une; illusion nécessaire socialement, mais illusion tout de même. » p.51
« Les neurosciences prennent irrésistiblement le relais de la philosophie et de la psychologie sociale sur le chemin difficile de la détermination de la conscience. […] La question de la conciliation à trouver entre les neurosciences et une tradition phénoménologique considérant les expériences conscientes comme des phénomènes en soi est loin d’être anecdotique. » p.67
« Une partie du cerveau possède comme mission de donner du sens à tout ce qui arrrive, y compris aux actions dont l’individu est lui-même à l’origine. » p.90
« C’est bien le fait de préférer la pureté, la stabilité, la fixité, l’homogénéité et un univers dans lequel on peut bel et bien se baigner deux fois dans le même fleuve qui constitue une disposition naturelle. Il est en fait beaucoup plus difficile, transgressif et contre-intuitif de développer une approche héraclitéenne des choses et d’accepter le flux. » p.111
« Car ce que veut réellement l’individu, au-delà de ses besoins primaires, ce n’est ni être seul, ni se fondre dans le groupe: c’est appartenir à un groupe au sein duquel il peut identifier la plus-value qu’il y représente. » p.113