« Persona » au musée du Quai Branly

Publié le jeu. 24 mars 2016 dans Archives

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » La question n'est pas nouvelle. Elle particulièrement perceptible derrière les amulettes, les outils de divination, le matériel des spirites, certains ustensiles quotidiens et nombre d'œuvres d'art.

Table des matières

Vents & Jardins a rendu visite à Persona

Robot habillé en homme

Mais de nos jours, avec les robots qui ressemblent de plus en plus aux humains, elle prend tout à coup une importance nouvelle et il devient urgent de réfléchir aux mécanismes par lesquels des cultures différentes, des plus ancestrales au plus contemporaines, « injectent de la personne » dans les objets.

L‘exposition « Persona, Étrangement humain » nous propose un angle de vue inhabituel sur les créatures artificielles, au moyen d'un parcours original qui nous permet de tester nos propres réactions face à toutes sortes d'objets plus ou moins " habités ", et avec l'ambition de nous aider à répondre à la question : « de quoi voulons-nous nous entourer ? ».

Elle commence par deux vidéos d'introduction qu'on aurait tort de zapper. La première, juste avant l'entrée, explicite la démarche de l'exposition et ses quatre grandes sections. Dans la seconde, l'homme invisible nous accueille, nous questionne et nous plonge dans l'ambiance.

Homo luminoso MQB © Roseline de Thélin 2015

Il y a quelqu'un ? (Présences non identifiées)

Homo luminoso

© Roseline de Thélin 2015

Cette section nous incite à vérifier si nous ressentons la présence de « quelqu'un ».

D'où vient ce sentiment étrange ? L'exposition ne répond pas à cette question de manière rationnelle. Bien au contraire, elle confronte notre imaginaire à une première série d'objets anthropomorphiques et de créations artistiques qui évoquent une présence. Le visiteur pressé risque de n'y voir rien de plus que dans les autres vitrines du musée, mais s'il s'accorde le temps de jouer le jeu, alors il se posera la bonne question : Si cet objet était vraiment magique, est-ce que je parviendrais à ressentir la présence qui l'habite ?

Deux autres vidéos nous éclairent alors sur le mécanisme ici à l'œuvre. La première montre une expérience de privation sensorielle. Dans un tel environnement, le cerveau tend à ressentir des hallucinations, comme s'il était programmé pour combler le vide par des présences imaginaires. La seconde montre l'expérience d'Heider et Simmel. Des figures géométriques simples et animées de mouvement aléatoires sont projetées sur l'écran. Il est quasiment impossible de ne pas imaginer une histoire qui décrit leurs « actions ». Ça ressemble tant à un dessin animé qu'on ne peut s'empêcher de douter que les mouvements projetés soient véritablement aléatoires et qu'ils n'aient pas été scénarisés.

Il n'y a personne ! (Manières d’identifier)

Une vitrine de l'expo

Peut-on vérifier si les présences ressenties ont une réalité ? Peut-on même les maîtriser ? Si cette question peut nous sembler d'une grande actualité en ce qui concerne l'intelligence artificielle, elle est aussi d'une grande ancienneté dans l'histoire de l'humanité.

Cette partie de l'exposition nous présente des objets magiques, d'évocation des esprits, de détection des fantômes, de toutes les époques et de toutes les cultures. On ne manquera pas l'évocation de la machine inventée par Thomas Edison dans l'espoir de fournir aux « chercheurs spirites » de son époque un « appareil qui leur permettrait de travailler d'une manière strictement scientifique ». La mallette d'outils du club des chasseurs de fantômes mérite aussi qu'on s'y arrête.

Puis, tout à coup, le visiteur auquel les mots « test de Turing » disent quelque chose a la surprise de rencontrer... Eliza en personne ! Mais si, souvenez-vous... ELIZA ! ... Elle vient tout juste de fêter ses 50 ans, mais elle n'a pas pris une ride. Ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de discuter avec elle s'accorderont deux minutes pour s’asseoir à sa table et de combler cette lacune, ils ne le regretteront pas. Vient alors le moment de passer à la section suivante pour pénétrer dans...

La vallée de l'étrange (De la fascination à la répulsion)

Plus un robot ressemble à un véritable être humain, plus il devient terrifiant. Mais il se pourrait qu'au-delà d'un certain niveau de ressemblance, il redevienne de nouveau plus facile à accepter. La courbe de " sympathie " ou de " familiarité " que nous pouvons avoir pour ces êtres artificiels présenterait alors un creux dénommé « Vallée de l'étrange ».

C'est cette zone du sentiment d'étrangeté, proche de la répulsion, que l'exposition nous invite à visiter dans sa troisième partie. Malheureusement, le visiteur reste ici un peu sur sa faim, par manque d'activité des robots présentés. Un robot immobile n'est après tout qu'une sculpture plus ou moins réaliste. Passée la première impression, plus aucun sentiment de familiarité désagréable ne s'en dégage. Le visiteur reste alors sur sa faim.

Graphique Vallée de l'étrange

CC Wikimedia, Smurrayinchester

Maison-témoin (Dans quel environnement voulons-nous vivre?)

Couloir de l'expo

Ici aussi, faute de cohérence et d'animation des environnements, la déception guette. Certes les œuvres d 'art et les objets sont plutôt bien choisis, certaines pièces sont manipulables, mais au final, l'ensemble est triste et bien loin de la « maison-témoin » promise.

Impression générale

L'impression finale est mitigée. C'est dommage, parce que ça commençait très fort sur des sujets puissants, bien présentés, qui tenaient les promesses du séduisant dossier de presse. Mais le parcours promis de confrontation personnelle (oserons-nous dire initiatique ?) laisse la place dans les deux dernières parties à une visite de musée « à l'ancienne » plutôt banale et un peu triste. On ressort cependant avec le souvenir de ce que les deux premières sections ont réussi à éveiller en nous et un questionnement sur ce qui a manqué aux deux dernières pour remplir leurs promesses.

Au final, Persona est une exposition qu'on ne regrettera pas d'avoir visitée, à condition de ne pas y aller seul et de palier son manque d'achèvement par une longue discussion entre amis.